Type d'événement, date(s) et adresse(s)Colloque et journée(s) d'étude

Centre Alexandre-Koyré, 27 rue Damesme, 75013 Paris, Salle de séminaire (5e étage)

Au-delà des spécificités historiographiques

Savoirs, politique et religion dans les monarchies ibériques à l’époque moderne

Au-delà des spécificités historiographiques

Face aux reconfigurations historiographiques permanentes et à la forte spécialisation thématique en histoire, cette journée d’étude cherche à établir des ponts entre des historiographies différentes qui ont eu pour centre d’intérêt principal, ces dernières années, l’analyse de la production des savoirs, l’étude des configurations politiques modernes et l’examen des identités religieuses et de l’Inquisition dans le monde catholique.

Malgré des rythmes et des évolutions différentes, le récent renouveau dans chacun de ces domaines a posé les jalons pour dépasser des clivages historiographiques cependant partagés depuis longtemps, tributaires, dans un sens large, du paradigme de la « Modernité ». Ainsi, le XVIe et le XVIIe siècle auraient représenté, pour les monarchies ibériques l’espace de temps où se serait joué l’ancrage, non réussi, du monde catholique à la modernité (nord) européenne. À grands traits, cet perspective téléologique de l’histoire s’est basé sur l’étude d’évolutions comprises à la lumière d’un jeu d’antagonismes qui ont nourri la lecture du XVIe siècle comme un moment « d’essor » du monde ibérique qui n’aurait pas trouvé, cependant, de continuité le siècle suivant : la répression et le fanatisme religieux face à la liberté ou la cohabitation de cultes, les modèles républicains en opposition à la monarchie comme forme de gouvernement, le primat accordé à la théologie et à la tradition aristotélicienne à la place de l’importance donnée à l’empirisme et aux disciplines au cœur de ce qui a été appelé la
« Révolution scientifique ».

Prenant en compte le fort questionnement de ces idées par l’historiographie récente*, cette journée d’étude cherche à créer un cadre de discussion, à partir de la présentation de différents cas d’études, autour de la question suivante : comment intégrer les nouveaux acquis de l’histoire politique, de l’histoire des sciences et des identités religieuses et de l’Inquisition dans le monde ibérique afin de dépasser les nombreuses frontières conceptuelles que l’idée de « Modernité » nous a léguées ?

*Parmi d’autres, M. HERRERO (ed.), 2017 ; P. CARDIM, T. HERZOG, J.J. RUIZ IBÁÑEZ, et al. (eds.), 2012 ; G. MARCOCCI et J. P. PAIVA 2013 ; D. BLEICHMAR, P. de VOS, Kristin HUFFINE, et al. (eds.) 2009 ; N. MUCHNIK 2014 ; B. FEITLER, 2015.

Journée d'étude organisée par le Centre Alexandre-Koyré et le LabEx Hastec.

Programme

  • 9h30-9h45. Réception

  • 9h45-10h15. Présentation et introduction

Par Antonella Romano (EHESS, CAK) et Leonardo Ariel Carrió Cataldi (Hastec-CAK/EUI-Max Weber Fellow)

  • 10h15-11h45. Savoirs, monarchie et république

Présidée par Antonella Romano (EHESS, CAK)

- 10h15-10h45. Guerre, savoirs, État. Les artilleurs et la construction de la Monarchie Hispanique (1560- 1610)

Brice Cossart (Docteur EUI)

L'objectif principal de cette présentation est de mettre en évidence l'apport heuristique du triptyque guerre-savoirs-état à l'historiographie des sciences et des techniques de la Monarchie Hispanique. L'impact des transformations de la « révolution militaire », du développement des structures militaro-administratives et de leur déploiement par-delà les mers est rarement posé en termes de ressources humaines et de compétences techniques. Il s'agit pourtant d'un enjeu politique crucial de l'époque moderne. Le cas des artilleurs, ces hommes en charge de l'usage des canons, en est particulièrement révélateur. Le passage de quelques dizaines d'individus servant les Rois Catholiques à la fin du XVe siècle, aux milliers d'artilleurs engagés sur les forteresses et les navires de la fin du règne de Philippe II, représenta un défi considérable de transfert de savoirs. C'est sans doute la raison pour laquelle la Monarchie Hispanique fut, avec la République de Venise, l'un des premiers états à développer, dès le XVIe siècle, un nouveau modèle d'apprentissage technique qui devint une norme dans l'Europe du siècle suivant : l'école d'artilleurs. Il s'agira donc de montrer la nouveauté que représentèrent ces institutions de formation à l'artillerie. En outre, l'abondance de matériel conservé par l'administration militaire des Habsbourg permet un questionnement en profondeur quant à la nature des savoirs transmis et discutés au sein de ces écoles. Elle autorise enfin une exploration, rare pour le XVIe siècle, de multiples liens entre les milieux d'enseignement technique et le monde de la publication de nombreux traités imprimés qui proposèrent alors une réduction en art de l'artillerie à l'aide de savoirs mathématiques hybrides.

- 10h45-11h15. La constitution d’un savoir géographique au cœur de la République de Venise : le cas des Navigationi et viaggi de Giovanni Battista Ramusio

Fiona Lejosne (Docteur ENS Lyon)

La compilation des Navigationi et viaggi, publiée en trois volumes entre 1550 et 1559 à Venise, est le résultat d'un long travail de collecte et d'édition de textes dont le principal artisan fut Giovanni Battista Ramusio (1485-1557). De par sa position au sein de la République de Venise – il exerça pendant plus de cinquante ans comme secrétaire de chancellerie – il bénéficia d'une formation et d'un réseau de correspondants qui furent essentiel à la constitution de cette œuvre, considérée comme la première compilation géographique de l'époque moderne.
Le recueil des Navigationi et viaggi révèle, de par sa construction même, une conception foncièrement politique du savoir géographique. La structure tripartite est fondée sur les explorations menées par trois puissances européennes – le Portugal, Venise et l'Espagne – et les paratextes, écrits de la main Ramusio, souligne les enjeux à la fois politique et polémique de son ouvrage. Pour autant ce projet, vraisemblablement né d'une initiative individuelle, peina à acquérir le statut de projet d’État.

  • 11h15-11h45 Discussion

  • 12h-13h Déjeuner

  • 13h-14h30. Acteurs, espaces et pratiques médicales

Présidée par Rafael Mandressi (CNRS, CAK)

- 13h-13h30h. Pratiques médicales et mobilités dans la vice-royauté du Pérou au XVIIe siècle

Camille Sallé (Doctorante à l’EUI)

Dans la vice-royauté du Pérou au XVIIème siècle, l’activité thérapeutique et les savoirs qu’elle met en œuvre reposent sur la participation de multiples acteurs, Espagnols, religieux, Indiens ou esclaves. Les conditions de cette activité se déploient selon une géographie différenciée, dans laquelle  l’espace urbain a été considéré comme le lieu d’un syncrétisme entre diverses cultures médicales, mais également le lieu privilégié de leur contrôle. Il s’agit alors d’examiner les institutions et les procédures mises en œuvre par les acteurs, tant pour soigner, que pour assurer la validation et la reconnaissance de leurs savoirs et savoir-faire dans ces configurations coloniales  où coexisteraient différentes économies morales et conceptions de la maladie. Par ailleurs, la mobilité des acteurs et des objets aux échelles  tant régionales qu’impériales  conditionneraient également l’organisation du système médical. Dans cette dernière perspective, les cas de Lima et Potosínous permettront d’interroger la constitution du rôle de la cours vice-royale et des hôpitaux dans les agencements et circulations entourant et gouvernant ces pratiques et savoirs thérapeutiques.

- 13h30-14h. Entre le pluralisme médical et légal : Inquisition et « Protomedicato » dans la régulation des pratiques de santé dans la Castille de l’époque moderne

Carolin Schmitz (Max Weber Fellow, EUI)

Des médecins du roi judéo-convers, des guérisseuses accusées de superstition, des herboristes accusés de faire des pactes avec le diable par des médecins, ce sont autant de cas que, enregistrés dans les archives de l’Inquisition entre le XVIIe et XVIIIe siècle, faisant preuve des liens étroits entre religion, pouvoir et médecine.
Plusieurs institutions de la monarchie espagnole de cette période participent ainsi au contrôle de la pratique médicale, parmi les plus importantes : le Real Protomedicato, mais aussi l’Inquisition. Toutes les deux prétendent avoir la capacité de contrôler certaines pratiques de santé. Mais ce sont des domaines de compétences qui peuvent, parfois, être bien délimités tandis que souvent ils se juxtaposent. C’est précisément dans ce dernier cas quand l’on se pose la question des éventuelles raisons de choisir un tribunal ou un autre, des possibles conséquences de ce choix et que l’on s’interroge sur la collaboration entre ces tribunaux.
À partir de ces questions, ma présentation cherchera à rendre compte d’une enquête en cours sur environ cinq cents procès qui ont eu lieu dans les tribunaux de l’Inquisition, du Protomedicato, ou encore dans d’autres tribunaux locaux, régionaux ou royaux tout comme des tribunaux de la justice criminelle en Castille entre 1560 et 1760. L’objectif principal sera d’analyser comment les compétences de ces institutions se juxtaposent dans la régulation de la pratique médicale. Lors de mon intervention, je vais me focaliser sur des cas précis comme le médecin Jaun Muñoz Peralta, l’« empírico » José Rodríguez et la guérisseuse Mariana Pérez. L’analyse de ces cas fait émerger les limitations de l’autorité royale sur des questions de santé.

  • 14h-14h30. Discussion

  • 14h30-15h. Pause-café

  • 15h-16h30. Circulations, minorités et universités

Présidée par Bernard Vincent (EHESS, CRH)

- 15h-15h30. Circulations et savoirs entre Chrétienté et Islam : l’établissement de migrants d’origine islamique dans la Monarchie hispanique, XVIe-XVIIe siècle

Cecilia Tarruell (Newton International Fellow, University of Oxford)

Cette intervention s’attache à l’étude de la présence de migrants provenant de terres d’Islam dans la Monarchie hispanique au cours de la fin du XVIe et du début du XVIIe siècle. Il s’agissait de Musulmans, de Juifs et de Chrétiens orientaux qui étaient venus de leur propre gré – dans la mesure où leur arrivée n’était pas liée à des circonstances de captivité ou d’esclavage –, et qui généralement se convertissaient au Catholicisme. Alors qu’un certain nombre d’études a mis en lumière l’existence de ces flux migratoires au sein des mondes ibériques, et dans l’Europe moderne en général, l’on sait encore très peu sur les savoirs et les connaissances que ces migrants pouvaient apporter à leurs sociétés d’accueil. Des enquêtes en cours laisseraient indiquer que les autorités hispaniques furent surtout intéressées par un usage pratique des connaissances des langues que ces migrants avaient. Ainsi, ils furent employés dans des missions d’information et d’espionnage, ainsi qu’en tant qu’interprètes dans des procès. Toutefois, il semblerait que dans une proportion moindre, certains d’entre eux jouèrent aussi un rôle dans des cercles savants et des entreprises érudites. Afin d’adresser ces questions, l’intervention se concentrera sur un cas d’étude, celui du Juif marocain Pedro de Castro, qui devint professeur d’hébreu à l’Université de Valladolid au début du XVIIe siècle, et qui par la suite, enseigna l’hébreu à Lisbonne en même temps qu’il travaillait occasionnellement comme traducteur pour l’Inquisition.

- 15h30-16h.Coimbra, ville de savoirs. Le dossier André ou les frontières des savoirs et du croire dans le Portugal au tournant du XVIe siècle

Leonardo A. Carrió Cataldi (Hastec-CAK/ EUI-Max Weber Fellow)

L’objectif de cette présentation est d’analyser la production de savoirs dans la ville de Coimbra au tournant du XVIIe siècle. En prenant appui sur les renouvellements historiographiques récents en histoire des sciences, de l’Inquisition et des empires modernes, on proposera d’analyser le parcours d’André de Avelar (1546 ?–1623), professeur de mathématiques à l’Université de cette même ville jugé par l’Inquisition pour pratique du judaïsme (1620 et 1621). L’intervention explorera ainsi les rapports entre réseaux, lieux et institutions de différente nature qui ont participé à la construction historique des frontières des savoirs et des croyances pendant la période de l’Union des couronnes. On cherchera ainsi à interroger la place de Coimbra comme ville de savoirs à l’intérieur des dynamiques sociales, politiques et religieuses au cœur de la monarchie ibérique.

  • 16h-16h30. Discussion
  • 16h30-17h. Discussion générale

Modérateurs : Antonella Romano (EHESS, CAK), Bernard Vincent (EHESS, CRH) et Rafael Mandressi (CNRS, CAK).

Organisation : Leonardo Ariel Carrió Cataldi (Hastec-CAK/EUI-Max Weber Fellow).

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