Type et date de soutenanceSoutenance de thèse

Quand la peste connectait le monde : production et circulation de savoirs microbiologiques entre Brésil, Inde et France (1894-1922)

Matheus Alves Duarte Da Silva

Résumé

Entre 1899 et 1900, le bacille de la peste bubonique est identifié pour la première fois au Brésil, dans le cœur économique du pays, à São Paulo et Rio de Janeiro. Pour combattre le fléau, les pouvoirs publics créent deux laboratoires chargés de la production de sérums et de vaccins antipesteux, Butantan et Manguinhos, et mettent en place une série de mesures d’hygiène publique, dont les vaccinations et la chasse aux rats. La politique sanitaire produit progressivement ses effets, de sorte que vers 1917 la maladie a quitté ces deux régions du pays. En 1922, l’année du premier centenaire de l’indépendance du Brésil, des savants font de cet épisode le début d’une tradition scientifique nationale, initiant une lecture qui sera reprise ensuite par certains historiens. À partir de sources conservées dans des archives institutionnelles, diplomatiques et gouvernementales au Brésil, en France, en Italie et au Royaume-Uni, la thèse propose une autre lecture de cet événement. Elle montre d’abord le dialogue établi entre des acteurs basés au Brésil et des savoirs microbiologiques développés avant 1900 aussi bien à Bombay, qui est alors l’épicentre de la pandémie de peste, qu’à Paris, siège de l’Institut Pasteur. Elle examine ensuite la façon dont ces acteurs et d’autres, basés à São Paulo et à Rio de Janeiro, se sont engagés, entre 1900 et 1914, dans de grands débats internationaux sur le traitement et la prophylaxie de la maladie. À cet égard, la thèse accompagne la trajectoire de sérums antipesteux envoyés depuis le Butantan jusqu’à Bombay ; la mobilisation de statistiques sur l’usage du sérum antipesteux de Manguinhos par les savants de l’Institut Pasteur ; et le développement de pratiques d’immunisation antipesteuse et de politiques sanitaires contre les rats, d’abord à Bombay, puis dans les villes brésiliennes touchées par le fléau, et jusqu’à Paris, frappée à son tour par la maladie en 1920.  Les principales conclusions de la thèse s’adressent autant à l’histoire des sciences au Brésil qu’à l’histoire de la microbiologie en général. On conclut que la mise au point et la stabilisation des acquis majeurs de la microbiologie – les sérums, les vaccins et la destruction de vecteurs – relèvent, en ce qui concerne la peste bubonique, de l’interaction directe et indirecte entre des groupes de savants basés au Brésil, en Inde et en France. On établit également que certains savoirs élaborés au Brésil et en Inde ont pu circuler en France, où le fléau se présentait comme une menace étrangère constante, quand la peste est devenue un problème de santé publique en 1920. On montre enfin que la microbiologie, vue souvent comme une science européenne exportée vers le reste du monde, ou comme le produit de traditions scientifiques nationales, possède en vérité des trajectoires plus complexes, voire globales.

Jury

  • M. Dominique Pestre (Directeur de thèse), EHESS
  • M. Kapil Raj (co-Directeur), EHESS
  • Mme Sylvia Chiffoleau, CNRS
  • M. Marcos Cueto, Casa de Oswaldo Cruz-Fiocruz
  • M. Jean-Paul Gaudillière, EHESS
  • M. Christos Lynteris, University of St Andrews
  • Mme Anne Rasmussen, EHESS
  • M. Sanjay Subrahmanyam, University of California
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