La recherche au CAK

Adossé au dispositif scientifique et intellectuel de l’EHESS, le Centre Alexandre-Koyré est un laboratoire de recherche et de formation à la recherche dont la vocation principale est d’étudier les configurations historiquement situées dans lesquelles les objets de "science", de "technique" ou de "médecine" se sont constitués.

Le Centre Alexandre-Koyré a non seulement accompagné les dynamiques intellectuelles qui ont reconfiguré le champ des études sur les sciences et les savoirs dans les trente dernières années, mais en a été l'un des acteurs. Il a contribué à son enrichissement et à sa diversification en conduisant des enquêtes sur de nouveaux objets, en promouvant de nouvelles approches et de nouvelles méthodologies. Une histoire sociale et culturelle, ouverte aux développements de la sociologie et de l’anthropologie des sciences, attentive aussi aux reconfigurations de l’ensemble des sciences sociales, a ainsi réorganisé le périmètre de la recherche. Les pratiques, les formes matérielles, les lieux de savoir, ont été investis en même temps que s’élargissait l’éventail des acteurs étudiés. La problématisation même de la notion de science a permis d’approfondir l’historicité et le caractère situé des systèmes de connaissance.

Dans le cadre des nouvelles recompositions du domaine qui émergent de nos jours, la recherche au sein du Centre Alexandre-Koyré privilégie le déploiement de démarches critiques concernant les échelles, les outils d’analyse, l’irruption des non-humains comme objet d’étude, des renouvellements qui, tous, mettent l’histoire des sciences et des savoirs au défi d’un retour réflexif fort sur les enjeux historiographiques et épistémologiques de sa pratique.

La recherche au Centre Alexandre-Koyré s’efforce d’être à la hauteur de ce défi, qu’elle n’a eu de cesse de relever par le passé mais qui réclame aujourd’hui de nouvelles opérations intellectuelles.

La réflexivité par l’historiographie, que les chercheurs du Centre développent par-delà la diversité de leurs terrains d’enquête, trouve sa matière et sa concrétisation dans les questions que ces enquêtes permettent elles-mêmes de poser. Elles sont liées à l’historicité des savoirs et plus généralement à l’inscription historique des rationalités, aux échelles temporelles et spatiales, aux choix de périodisation, au statut des matériaux mobilisés comme sources, aux découpages des objets étudiés, aux répertoires de notions et de catégories analytiques, etc.

L’un des grands enjeux du renouvellement du domaine concerne la question des méthodes et des échelles de l’analyse. Les histoires transnationales des sciences y contribuent de manière décisive. Champ épistémique dont on considère la portée comme étant universelle, l’histoire des sciences est pourtant souvent décrite à travers un prisme national. Sous-étudié, le rapport entre les sciences "modernes" et le reste du monde est communément conçu en termes d’une diffusion à partir de l’Occident ou de son pendant agonistique. S’inscrivant dans les débats actuels autour de l’histoire coloniale, postcoloniale et mondiale, et à la lumière du renouvellement des objets et approches de l’histoire des sciences, ces perspectives s’appuient sur les méthodes relationnelles mises au point depuis la dernière décennie – histoire croisée, connectée, comparée, circulatoire… – afin d’étudier des phénomènes dans une perspective mondiale attentive à l’émergence poly-centrée des savoirs et savoir-faire aussi bien que leur appropriation différenciée selon les lieux.

En outre, au-delà du choix du niveau d’analyse auquel les enquêtes peuvent se situer, la question des échelles engage celle des effets d’intelligibilité que produit leur variation. Au renouveau de la biographie comme genre historiographique fait écho, dans les recherches menées au Centre Alexandre-Koyré, un déplacement qui consiste à examiner le biographique comme matériau et l’enquête biographique comme mode de connaissance dans les études sur les sciences. La prise en compte du "jeu d’échelles" invite, plus généralement, à mettre au jour des dynamiques particulières des sciences et des savoirs qui déclinent les approches entre le macro et le micro.

Les études sur les sciences et les savoirs sont profondément reconfigurées aussi par les approches qui privilégient la dimension visuelle et matérielle des objets étudiés, dans le cadre d’une réflexion historiographique et de mise à l’épreuve d’outils méthodologiques, empruntés notamment à l’histoire des pratiques, aux media studies, à l’histoire de l’art et du livre, ou à l’histoire culturelle. Les études visuelles et matérielles des sciences développées au Centre impliquent une réévaluation de ce qui "fait source" en histoire des sciences et des savoirs, un domaine qui a longtemps privilégié l’écrit, avec une attention particulière portée aux supports matériels, dont ceux de la production visuelle, des techniques de fabrication, d’impression, d’organisation et de circulation qui y sont liées, mais aussi aux enjeux épistémiques matérialisés dans des objets et engendrés par leurs usages.