L'histoire du Centre

Pourquoi fonder en 1958 un "Centre d’histoire des sciences et des techniques" au sein de la sixième section de l’École pratique des hautes études (EPHE) consacrée aux "sciences économiques et sociales" ? Le soutien apporté par les présidents de cette jeune institution, les historiens Lucien Febvre et Fernand Braudel, à son directeur, Alexandre Koyré, fut déterminant. Son enseignement d’"Histoire de la pensée scientifique" d’abord pensé pour le Collège de France et qui souhaitait "replacer les œuvres étudiées dans leur milieu intellectuel et spirituel, les interpréter en fonction des habitudes mentales, des préférences et des aversions de leurs auteurs", avait tôt recueilli le soutien de L. Febvre. L’échec d’A. Koyré au Collège de France en 1951 incita Febvre et Braudel à faire de l’institution qu’ils créaient alors le lieu d’accueil alternatif pour de telles recherches. Basé à l’hôtel de Nevers avec le Centre international de Synthèse d’Henri Berr, soutien de longue date de Febvre et de l’histoire des sciences, il y restera jusqu’en 1989. Devenue, après la mort de son fondateur, Centre Alexandre-Koyré (1966), ce centre de recherche, aujourd’hui le plus ancien de l’EHESS, n’a cessé de redéfinir ses objets et programmes d’étude, et de se transformer institutionnellement au gré des politiques nationales mises en oeuvre par les établissements et le CNRS.

D’abord centrée sur une "Histoire des sciences exactes" à l’époque moderne pour reprendre le titre de l’enseignement de son directeur jusqu’en 1983, René Taton, elle a, par la suite, étendu ses objets d’investigation à l’histoire des sciences de la vie et des sciences de l’homme dès les années 1980, à partir d’une contractualisation du lien avec le MNHN. Cet élargissement soutenu par son nouveau directeur Jacques Roger (1983 et 1989), spécialiste du naturaliste Buffon, a également conduit à la relocalisation du Centre au Jardin des Plantes entre 1989 et 2011. Les directions de Roger Chartier (1989-1997) et de Dominique Pestre (1997-2004) ont affirmé la centralité intellectuelle de l’EHESS dans l’évolution du dispositif devenu UMR. L’extension du périmètre de l’unité s’est opérée dans deux directions majeures : l’affirmation de l’importance de l’étude des sciences contemporaines, la transformation épistémologique des pratiques par l’ouverture à la sociologie (et aux STS - Science and Technology Studies - en particulier) de la composante philosophe et historienne des origines. Depuis, les études sur les politiques publiques en matière de science et de technologie, y compris les plus contemporaines, sont devenues une marque de fabrique du Centre. À partir des années 2000, cet héritage a été approfondi sous les mandats de Jacqueline Carroy (2005-2009), de Jeanne Peiffer (2010-2013).

Avec la direction d’Antonella Romano (2014-2017), poursuivie par Rafael Mandressi (2017-2018) et dans le cadre du mandat actuel d’Anne Rasmussen, trois inflexions majeures caractérisent le CAK : le périmètre des objets étudiés s’est plus systématiquement étendu des "sciences" aux "savoirs", à la faveur d’un élargissement spatio-temporel des terrains de la recherche, dans le cadre d’une interrogation systématique sur les échelles des analyses. Autant d’inflexions qui ont favorisé l’intégration de l’anthropologie comme quatrième matrice épistémologique et la réflexivité sur la variété des approches, dès lors que la fabrique des sciences, des techniques et des savoirs était en question.

Installé à présent dans le nouveau bâtiment EHESS du Campus Condorcet d’Aubervilliers, entouré de laboratoires d’aires culturelles, l’unité vit une nouvelle étape de son histoire. Histoire sociale et culturelle des sciences, de la médecine et des techniques, des sciences humaines et sociales à l’époque moderne et contemporaine, histoire et anthropologie des technosciences, des savoirs naturalistes ou écologiques comme des modes de gouvernement de la nature, études muséales des sciences, sociologie des sciences et des techniques, anthropologie des savoirs constituent actuellement les grandes orientations du Centre Alexandre-Koyré, déclinées entre la France, l’Europe, l’Asie, l’Afrique et les Amériques.